L'argiope frelon ou Épeire fasciée et les autres araignées à toiles géométriques.
Cette belle araignée joue au frelon et dévore son mari !
Argiope bruennichi est une de nos plus belles araignées, de celles que l'on remarque au premier coup d'œil. Et pour cause : son abdomen est strié de rayures jaunes et noires comme celui du frelon.
Ce n'est pas très discret, mais c'est très efficace. Et c'est une stratégie courante chez les animaux, à savoir celle qui consiste à être le moins discret possible, afin de bien faire comprendre aux éventuels prédateurs qu'on est soit toxique, soit venimeux, en tout cas très féroce.
Cela s'appelle un «signal aposématique» (d'avertissement). Concrètement, L'argiope fait semblant d'être un frelon pour qu'un éventuel prédateur (par exemple un oiseau insectivore) passe son chemin en craignant une piqûre. Il faut savoir que ce n'est pas simplement du bluff : en effet, l'argiope est bel et bien armée de puissants crochets à venin appelés «chélicères».
Le «stabilimentum» en zigzag est bien visible sous l'araignée.Commençons la visite par la toile. L'argiope fait partie d'une famille d'araignées appelées «orbiculaires» qui tissent toutes des toiles spiralées et aériennes. Cette espèce se distingue toutefois de ses cousines car sa toile possède une bande verticale appelée «stabilimentum» où les fils sont disposés en zigzag. On a émis diverses hypothèses à son sujet : stabiliser la toile, la rendre plus solide, la rendre plus visible afin qu'un oiseau complètement myope ne la traverse pas, camoufler la présence de l'araignée, ou même transmettre à l'araignée des signaux plus clairs sur la taille et la consistance des proies qui s'y aventurent. À ce jour le mystère reste entier.
Cette toile est cependant conforme à toutes les toiles d'araignées qui sont construites à partir de soies très collantes sécrétées par des glandes situées dans l'abdomen de la bête. Il faut préciser qu'à taille égale, le fil d'acier ou de kevlar est beaucoup moins résistant que le fil d'araignée. Mais comment cette dernière peut se promener tranquillement sur sa toile sans que ses pattes ne s'y collent ? Pour résoudre ce mystère, il suffit de regarder de très près ces fameuses pattes, qui sont entièrement enduites d'une «cire» visible uniquement au microscope, qui neutralise le pouvoir collant des fils. Un peu comme si on essayait de coller un morceau de ruban adhésif sur une bougie.
Cette araignée est vorace ! Si certaines de ses cousines se contentent de mouches ou de moustiques maigrichons, celle-ci vise plus haut, et surtout plus gros. En effet son régime alimentaire est essentiellement constitué de gros criquets, de sauterelles, ou même d'abeilles, de guêpes ou… de frelons. Quelle ironie ! L'histoire est un grand classique : la proie, d'un mouvement malheureux, se jette dans la toile et s'y retrouve engluée, ne cesse de gigoter, et prévient par la même occasion l'argiope de sa présence. Heureusement que la proie panique et se démène, car cette araignée est complètement bigleuse, voire presque aveugle. Elle ne verrait donc sans doute pas sa victime si celle-ci restait immobile. C'est d'ailleurs à pas feutrés que le mâle procède pour l'approcher, mais nous verrons cela plus loin. La suite de l'histoire est plus connue : une fois la cible repérée, l'argiope lui fonce dessus, l'assomme d'une piqûre de ses crochets à venins, l'emmaillote en quelques secondes dans un cocon de soie, et direction le garde-manger.
La digestion est extra-orale, et assurée par les sucs digestifs injectés dans la proie qui la liquéfient littéralement dans son cocon. Il n'y a plus qu'a aspirer le résidu digéré. Mais à force de manger, on finit par grossir, et le moment arrive fatalement où l'argiope commence à se sentir à l'étroit dans sa propre «peau», ou plutôt sa carapace. Elle a donc besoin de muer périodiquement. Pour cela, elle s'immobilise au centre de sa toile, alors que tout est calme, car elle est à ce moment-là particulièrement vulnérable. Tout à coup, le dos de sa carapace se sépare en deux, et elle est littéralement éjectée de son enveloppe précédente, restant suspendue à celle-ci par un fil de soie. Ne reste plus qu'à sortir les pattes de ses huit pantalons, à laisser celles-ci durcir quelque temps, et c'est reparti pour de nouvelles aventures.
Le mâle de l'argiope est un avorton de huit millimètres de long équipé de pattes démesurées. La femelle mesure quant à elle jusqu'à vingt-cinq millimètres, toujours sans les pattes.
Ah… L'amour ! Lorsque vient le temps des amours, il faut bien s'accoupler, mais comment faire avec une pareille furie ? Pauvre mâle, il est très amoureux, et très, très petit ! Il doit donc dépenser des trésors de ruse pour l'approcher. À pas de loup, sans faire vibrer la toile, il parvient quand même à lui monter sur le dos, et d'un coup de ses «pédipalpes», sortes d'appendices pourvus de bulbes terminés par des stylets, il pénètre la «spermathèque» de la femelle, qui est une poche destinée à recevoir la semence du mâle. L'accouplement dure une trentaine de minutes, à la suite de quoi notre pauvre soupirant meurt d'épuisement, restant accroché à la femelle, qui ne fait pas grands cas de cette «décoration». La mort au cours de l'accouplement est caractéristique de cette espèce, mais rare dans le monde animal. La femelle n'a plus qu'à attendre que le sperme du mâle vienne féconder ses œufs, qu'elle garde en elle jusqu'à sa mort, ce qui explique que l'argiope puisse pondre plusieurs fois dans l'année.
Le cocon, très résistant, d'un diamètre d'environ trois centimètres, prend la forme d'une montgolfière retournée. La ponte... Maintenant que l'argiope a été fécondée, il n'est pas question pour elle de disperser aux quatre vents sa précieuse progéniture, ou de la répandre au sol sans autre forme de procès. L'argiope est bonne mère. Elle fabrique donc un douillet petit nid pour ses futurs rejetons, sous la forme d'un cocon de fils de soie appelé «soie papyracée». Elle le suspend dans la végétation puis dépose jusqu'à 1400 œufs à l'intérieur, afin qu'ils disposent d'un refuge, tant au stade «œuf» que lorsqu'ils auront éclos.
Les petites argiopes sont identiques à l'adulte, excepté par la taille, car les araignées, au contraire des coléoptères par exemple, ne passent pas par des stades successifs de croissance (larve, nymphe, imago…). Elles se contentent de grossir progressivement et de rejeter périodiquement des mues, un peu comme les reptiles. Plus tard, la femelle se débarrassera du mâle, toujours accroché à son dos, en le liquéfiant, comme elle le fait pour ses proies, à l'aide de ses puissants sucs digestifs. Puis elle le dévorera : il n'y a pas de petits profits !
Une des particularités de l'argiope est sa manie de replier ses pattes par groupes de deux, le plus souvent les deux paires avant, mais quelquefois aussi les deux paires arrières. Cela lui donne la forme d'un «X». Elle adopte sans doute ce comportement pour être moins reconnaissable.
Vous pourrez trouver l'argiope dans des biotopes ensoleillés et chauds, comme les fossés, les bords des champs, les terrains vagues, les talus ou les jardins. Au printemps et en été sa toile ornée d'un zigzag central est facilement reconnaissable. Elle est courante, en expansion depuis quelques temps, et est visible dans toute la France. Vous pourrez sans difficulté l'observer ou même la photographier de très près, car sa myopie la rend peu farouche.
Photos de l'auteur, tous droits réservés, sauf
4 - Darius Bauzys CC-BY-SA
5 - Lucarelli CC-BY-SA
6 - Orchi CC-BY-SA
Cela s'appelle un «signal aposématique» (d'avertissement). Concrètement, L'argiope fait semblant d'être un frelon pour qu'un éventuel prédateur (par exemple un oiseau insectivore) passe son chemin en craignant une piqûre. Il faut savoir que ce n'est pas simplement du bluff : en effet, l'argiope est bel et bien armée de puissants crochets à venin appelés «chélicères».
Le «stabilimentum» en zigzag est bien visible sous l'araignée.Commençons la visite par la toile. L'argiope fait partie d'une famille d'araignées appelées «orbiculaires» qui tissent toutes des toiles spiralées et aériennes. Cette espèce se distingue toutefois de ses cousines car sa toile possède une bande verticale appelée «stabilimentum» où les fils sont disposés en zigzag. On a émis diverses hypothèses à son sujet : stabiliser la toile, la rendre plus solide, la rendre plus visible afin qu'un oiseau complètement myope ne la traverse pas, camoufler la présence de l'araignée, ou même transmettre à l'araignée des signaux plus clairs sur la taille et la consistance des proies qui s'y aventurent. À ce jour le mystère reste entier.
Cette toile est cependant conforme à toutes les toiles d'araignées qui sont construites à partir de soies très collantes sécrétées par des glandes situées dans l'abdomen de la bête. Il faut préciser qu'à taille égale, le fil d'acier ou de kevlar est beaucoup moins résistant que le fil d'araignée. Mais comment cette dernière peut se promener tranquillement sur sa toile sans que ses pattes ne s'y collent ? Pour résoudre ce mystère, il suffit de regarder de très près ces fameuses pattes, qui sont entièrement enduites d'une «cire» visible uniquement au microscope, qui neutralise le pouvoir collant des fils. Un peu comme si on essayait de coller un morceau de ruban adhésif sur une bougie.
Cette araignée est vorace ! Si certaines de ses cousines se contentent de mouches ou de moustiques maigrichons, celle-ci vise plus haut, et surtout plus gros. En effet son régime alimentaire est essentiellement constitué de gros criquets, de sauterelles, ou même d'abeilles, de guêpes ou… de frelons. Quelle ironie ! L'histoire est un grand classique : la proie, d'un mouvement malheureux, se jette dans la toile et s'y retrouve engluée, ne cesse de gigoter, et prévient par la même occasion l'argiope de sa présence. Heureusement que la proie panique et se démène, car cette araignée est complètement bigleuse, voire presque aveugle. Elle ne verrait donc sans doute pas sa victime si celle-ci restait immobile. C'est d'ailleurs à pas feutrés que le mâle procède pour l'approcher, mais nous verrons cela plus loin. La suite de l'histoire est plus connue : une fois la cible repérée, l'argiope lui fonce dessus, l'assomme d'une piqûre de ses crochets à venins, l'emmaillote en quelques secondes dans un cocon de soie, et direction le garde-manger.
La digestion est extra-orale, et assurée par les sucs digestifs injectés dans la proie qui la liquéfient littéralement dans son cocon. Il n'y a plus qu'a aspirer le résidu digéré. Mais à force de manger, on finit par grossir, et le moment arrive fatalement où l'argiope commence à se sentir à l'étroit dans sa propre «peau», ou plutôt sa carapace. Elle a donc besoin de muer périodiquement. Pour cela, elle s'immobilise au centre de sa toile, alors que tout est calme, car elle est à ce moment-là particulièrement vulnérable. Tout à coup, le dos de sa carapace se sépare en deux, et elle est littéralement éjectée de son enveloppe précédente, restant suspendue à celle-ci par un fil de soie. Ne reste plus qu'à sortir les pattes de ses huit pantalons, à laisser celles-ci durcir quelque temps, et c'est reparti pour de nouvelles aventures.
Le mâle de l'argiope est un avorton de huit millimètres de long équipé de pattes démesurées. La femelle mesure quant à elle jusqu'à vingt-cinq millimètres, toujours sans les pattes.
Ah… L'amour ! Lorsque vient le temps des amours, il faut bien s'accoupler, mais comment faire avec une pareille furie ? Pauvre mâle, il est très amoureux, et très, très petit ! Il doit donc dépenser des trésors de ruse pour l'approcher. À pas de loup, sans faire vibrer la toile, il parvient quand même à lui monter sur le dos, et d'un coup de ses «pédipalpes», sortes d'appendices pourvus de bulbes terminés par des stylets, il pénètre la «spermathèque» de la femelle, qui est une poche destinée à recevoir la semence du mâle. L'accouplement dure une trentaine de minutes, à la suite de quoi notre pauvre soupirant meurt d'épuisement, restant accroché à la femelle, qui ne fait pas grands cas de cette «décoration». La mort au cours de l'accouplement est caractéristique de cette espèce, mais rare dans le monde animal. La femelle n'a plus qu'à attendre que le sperme du mâle vienne féconder ses œufs, qu'elle garde en elle jusqu'à sa mort, ce qui explique que l'argiope puisse pondre plusieurs fois dans l'année.
Le cocon, très résistant, d'un diamètre d'environ trois centimètres, prend la forme d'une montgolfière retournée. La ponte... Maintenant que l'argiope a été fécondée, il n'est pas question pour elle de disperser aux quatre vents sa précieuse progéniture, ou de la répandre au sol sans autre forme de procès. L'argiope est bonne mère. Elle fabrique donc un douillet petit nid pour ses futurs rejetons, sous la forme d'un cocon de fils de soie appelé «soie papyracée». Elle le suspend dans la végétation puis dépose jusqu'à 1400 œufs à l'intérieur, afin qu'ils disposent d'un refuge, tant au stade «œuf» que lorsqu'ils auront éclos.
Les petites argiopes sont identiques à l'adulte, excepté par la taille, car les araignées, au contraire des coléoptères par exemple, ne passent pas par des stades successifs de croissance (larve, nymphe, imago…). Elles se contentent de grossir progressivement et de rejeter périodiquement des mues, un peu comme les reptiles. Plus tard, la femelle se débarrassera du mâle, toujours accroché à son dos, en le liquéfiant, comme elle le fait pour ses proies, à l'aide de ses puissants sucs digestifs. Puis elle le dévorera : il n'y a pas de petits profits !
Une des particularités de l'argiope est sa manie de replier ses pattes par groupes de deux, le plus souvent les deux paires avant, mais quelquefois aussi les deux paires arrières. Cela lui donne la forme d'un «X». Elle adopte sans doute ce comportement pour être moins reconnaissable.
Vous pourrez trouver l'argiope dans des biotopes ensoleillés et chauds, comme les fossés, les bords des champs, les terrains vagues, les talus ou les jardins. Au printemps et en été sa toile ornée d'un zigzag central est facilement reconnaissable. Elle est courante, en expansion depuis quelques temps, et est visible dans toute la France. Vous pourrez sans difficulté l'observer ou même la photographier de très près, car sa myopie la rend peu farouche.
Photos de l'auteur, tous droits réservés, sauf
4 - Darius Bauzys CC-BY-SA
5 - Lucarelli CC-BY-SA
6 - Orchi CC-BY-SA
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